Bláa veintingahús [PV Symphonie]

Il était 20h30, et Dimma Dökkhönd, 600 ans, crim... attendait patiemment dans le restaurant le Blue que sa charmante compagne, une sirène du nom de Symphonie, vienne l'y rejoindre. N'ayant pas de montre, ni aucun moyen de vérifier l'heure qu'il était en général, Dimma s'était rendu en avance à leur lieu de rendez-vous, et s'était assis à la table qu'il avait réservée.











Cela faisait désormais trois jours qu'il patientait ainsi.

Carburant à coup de rooibos, et, parfois, et pour une raison que lui-même ne s'expliquait pas, de coca light, l'Elfe avait fini par devenir une petite attraction touristique du restaurant. Les gens l'avaient pris en affection et certains venaient même lui faire la conversation en pensant qu'il s'agissait d'un speed-dating edorien.

Dimma avait par conséquent successivement fait la connaissance, bien malgré lui, d'un couple de louves-garettes lesbiennes qui cherchaient à pimenter leur vie, d'un thériantrope qui avait besoin d'exprimer son mal-être d'homme-méduse, d'un sorcier à grand chapeau et aux cheveux gras, d'un autre sorcier qui cherchait à l'enrôler pour infiltrer un donjon et récupérer la douzième statuette pour permettre l'accomplissement d'une prophétie quelconque, et enfin d'un cyborg aux yeux blancs qui clamait être un criminel ambitieux à la recherche d'un lieutenant de choc pour faire régner son empire hors-la-loi sur Edora.

Il était donc 20h30, et Dimma attendait toujours très patiemment que sa chère invitée, la sirène Symphonie, arrive enfin à leur rendez-vous d'affaires galantes. Car autant joindre l'utile à l'agréable : Dimma avait sélectionné l'un des restaurants les plus chers, sinon le plus cher, de la ville, et avait déjà prévu un coup d'avance en ayant “acquis” malhonnêtement l'établissement.

Dimma descendit sa quatre-vingt quatrième tasse de rooibos de la journée quand, enfin, la sirène arriva.

Ces derniers temps je jonglais entre mes nuits calmes et terriblement apaisantes chez Lev et celles bien plus agitées chez de charmants inconnus. Autant dire que je ne passais plus beaucoup chez moi, d’autant plus que j’avais déménagé une grande partie de mes affaires chez Lev, ce qui me permettait de rester plusieurs jours d’affilée, ne découchant que pour combler certains besoins physiques qu’un ami ne pouvait combler.

Ce matin-là, en sortant de l’appartement d’un eryan plutôt peu satisfaisant, donc de mauvaise humeur, je tombai nez à nez avec un inconnu visiblement exténué.
Examinant ses vêtements, je reconnu l’uniforme des hommes de main de Vinur et tressailli. Je n’avais pas eu de ses nouvelles depuis plus d’une semaine, au moins, et je commençais à me demander s’il avait été tué par ce démon qui en avait après moi.

L’homme sembla terriblement soulagé de me trouver et délivra son message avant de se volatiliser : j’avais rendez-vous à 20h30 avec son patron au Blue.


Le restaurant le plus cher de la ville. Rien que ça.


Deux choses : j’étais apparemment débarrassée du démon assassin et Vinur ne faisait pas les choses à moitié.

D’un seul coup mon moral remonta d’un seul coup ! Un petit passage chez Lev pour me changer, discuter un peu avec lui, et…





Me préparer pour aller à un rendez-vous avec un homme.




….


Devant Lev ?


….


J’avais toujours été discrète sur mes raisons quand j’allais me trouver un sextoy vivant, histoire de ne pas le choquer et parce que… Je sais pas… Ça me gênait qu’il sache ce genre de choses. J’avais un peu peur de sa réaction. J’avais envie de me montrer autrement que comme une allumeuse avec lui.

Enfin, c’était un loup, et il devait sans doute avoir senti l’odeur des hommes avec qui je passais la nuit sur moi, mais je préférais croire que ce n’était pas le cas.

Minute… J’étais pas en train de m’attacher à lui là, non ? Nooon ! Si je dors avec lui c’est juste parce que je déteste être seule ! Oui oui. Tout à fait ! Et cette histoire de cacher les raisons de mes sorties c’était juste une question de respect. C’est ça ! Du respect envers lui parce qu’il avait sauvée et m’hébergeait.


M’hébergeait ?

Je débloquais là. C’est pas parce qu’on a ramené une grande partie de son armoire, sa brosse à dent et sa trousse de toilette qu’on vivait chez quelqu’un. C’était évident !
Revenons donc à cette invitation de ce soir. Je pouvais très bien passer la journée avec Lev et partir me changer chez moi en prenant de quoi me maquiller discrètement dans les affaires que j’ai laissé chez lui.

C’était un peu compliqué et agir en douce comme ça me mettait mal à l’aise.

Bon. Je pouvais aussi acheter du maquillage neuf pour ce soir et passer chez une coiffeuse pour mes cheveux (j’avais aussi laissé ma brosse et tout ce qui allait avec chez Lev). Oui. C’était mieux.

En passant devant une boulangerie je pris quelques croissants (offerts par le boulanger tout rougissant) et deux grands cafés (offerts aussi). Lev ne devait pas être encore levé. Il était tôt. Avoir des croissants et un café frais lui fera sûrement plaisir.

Une fois rentrée chez lui, je pris une douche discrète pour me débarrasser de l’odeur de l’eryan et me changeai.

La matinée avec le loup acheva de me mettre de bonne humeur et je m’éclipsai en début d’après-midi pour acheter de quoi me maquiller, m’immerger deux heures chez moi et passer chez la coiffeuse en tenue de soirée.

A 20h30 pile, je rentrai dans le restaurant. Ma robe noire paraissait simple, aux premiers abords, mais révélait tout mon dos et les tatouages qui y couraient par un savant entrelacs de fils, mes cheveux étaient relevés très simplement, eux aussi et mes jambes étaient parfaitement galbées dans des escarpins tout aussi simples et élégants. Le résultat était tout simplement époustouflant.

Je repérai Vinur en train de terminer… terminer ? J’étais à l’heure pourtant ? Bref, il terminait une tasse de… thé ? et m’assis en face de lui.

Aussitôt, un tonnerre d’applaudissements retentit et je sursautai en regardant les gens autour de nous, visiblement émus de mon arrivée.


Je savais que je faisais de l’effet, mais là c’était plutôt exagéré, non ?

- Qu’est-ce qu’il se passe au juste ?

Aussitôt que Symphonie mit le pied dans le restaurant, une hola digne d'un stade de football en délire fut exécutée par les clients et le personnel. Non, vraiment : ils firent trembler l'intégralité de l'établissement.

Ignorant l'emballement de la foule, Dimma se leva respectueusement sitôt que Symphonie fut à son niveau. Il s'appuya sur la table, la blessure au mollet qu'il avait subie durant son dernier combat n'était pas encore totalement guérie.

— Qu’est-ce qu’il se passe au juste ?
— Un élément scénaristique paresseux.

D'un geste de la main, Dimma invita la sirène à prendre place. Puis il se rassit. Le serveur vint leur apporter le menu, et déposa à leur table une bougie qu'il alluma d'un coup de briquet expert. L'Elfe attendit qu'il se fut éloigné avant de prendre la parole.

— Je vous ai pris un présent.

Dimma sortit un petit collier de sa poche, un pendentif qu'il avait subtilisé à une Elfe qui l'avait approché plus tôt ces trois derniers jours. C'était une simple chaîne en argent, agrémenté d'un plaque ovale sur laquelle figurait le "draumstafir", une rune islandaise. Il déposa le bijou juste devant la sirène, avant de préciser :

— C'est un symbole de mon pays. Une rune pour rêver des désirs qui ne sont pas encore satisfaits. J'espère qu'il vous plaira.

Puis il enchaîna :

— Le contrat a été exécuté.

Il jeta sur la table le poignard encore tordu et caillé de sang qui avait appartenu il y avait encore peu de temps au démon Reiji Mutsuyo.

— Le démon ne vous posera plus aucun souci. Je m'en suis occupé personnellement.

— Un élément scénaristique paresseux.

Je haussai un sourcil interrogateur. Déjà la dernière fois il avait formulé certaines choses bizarres. Ce devait être une particularité bien à lui. Je crois. Le tout était sans doute de faire comme si on comprenait ce dont il parlait.

A peine assise, le serveur nous apporta immédiatement la carte et alluma une bougie. C'était rapide.

— Je vous ai pris un présent.

Un présent ? La tête du démon sur un plateau d'argent ?

Ah non. Un collier.

J'observai la plaque en argent ornée de quatre symboles allongés, c'était plutôt joli. Et attentionné. Et aussi inattendu je dois dire.

— C'est un symbole de mon pays. Une rune pour rêver des désirs qui ne sont pas encore satisfaits. J'espère qu'il vous plaira.

Des désirs pas encore satisfaits... Je doutais qu'elle me serve à grand chose, puisque j'avais absolument tout ce que je désirais, mais c'était quand même gentil de sa part.
Je souris et l'accrochai à mon cou.

- Merci. Il est très beau.

Il enchaina presque aussitôt:

— Le contrat a été exécuté.

Tressaillant en voyant le couteau ensanglanté et tordu qu'il jeta sur la table, j'en fus néanmoins soulagée. Je n'avais plus rien à craindre désormais.

— Le démon ne vous posera plus aucun souci. Je m'en suis occupé personnellement.

J'avais envie de sauter de joie, de crier de soulagement, mais me contentai d'un hochement satisfait.

- Il ne vous a pas posé trop de soucis, j'espère ?

La réponse était évidente, puisqu'il était ici, en un seul morceau. C'était juste de la politesse.

- En tout cas je vous en remercie profondément.

Je jetai un coup d'oeil à la carte. A moi d'honorer notre part du marché. Cela dit, une soirée au restaurant en sa compagnie n'était rien comparé à ce qu'il avait fait pour moi. Je pouvais m'estimer chanceuse.

— Il ne vous a pas posé trop de soucis, j'espère ?

Plus que ce qu'il ne l'avait anticipé, mais cela, elle n'avait pas besoin de le savoir.

— En tout cas je vous en remercie profondément.
— Ce n'est pas nécessaire. Quand vous aurez à payer votre dette, vous me haïrez encore plus profondément.

Personne n'aimait payer ses dettes. Et cette sirène, il en était convaincu, ferait tout ce qui était en son pouvoir pour échapper à la sienne.

— Je vous suggère de prendre une viande rouge. Il va vous falloir beaucoup de force et d'endurance pour la soirée qui vous attend...

Pour sa part, il allait prendre une nouvelle tasse de rooibos. Cela ne serait que sa quatre-vingt cinquième, après tout. Le seuil-limite de l'overdose se situait à partir de 107 tasses.

Dimma joignit les mains. Reiji demeurait une menace importante, et un loup-garou l'avait mis KO là où lui-même avait eu un mal fou à maîtriser le démon. Le lycan était par conséquent un allié de taille... ou pouvait devenir un adversaire dangereux. Une nuisance poilue et malodorante de plus, c'était hors de question.

— Puis-je savoir quel est le loup-garou qui vous sauvée de notre ami cornu commun ? Le connais-je ?

— Ce n'est pas nécessaire. Quand vous aurez à payer votre dette, vous me haïrez encore plus profondément.

Je levai les yeux vers lui, intriguée. En quoi une soirée au restaurant pouvait être désagréable ?


— Je vous suggère de prendre une viande rouge. Il va vous falloir beaucoup de force et d'endurance pour la soirée qui vous attend...


En quoi une soirée au restaurant pouvait être désagréable ?! Et nécessiter force et endurance ???

Je me crispai imperceptiblement et tentai une remarque ironique pour me détendre:

- On peut dire que vous savez mettre les gens à l'aise, vous...

Qu'est-ce qu'il avait voulu dire ? Qu'est-ce qu'il allait réclamer de moi ? Je n'étais qu'une sirène, je n'avais pas une grande force de frappe et il était assez puissant pour se débarrasser d'un démon. Que pouvait-il désir... Non, ce n'était quand même pas...

Je cherchai les signes habituels d'excitation chez un homme, mais rien. Pas même une légère tension dans ses mains. Il était parfaitement calme.

— Puis-je savoir quel est le loup-garou qui vous sauvée de notre ami cornu commun ? Le connais-je ?

J'hésitai. On ne peut pas dire que je me sente en confiance avec ce couteau sur la table et les insinuations qu'il avait faites. Et puis je n'avais pas envie de mêler Lev à ça. Si Vinur était assez fort pour neutraliser le démon qui voulait me tuer, il l'était aussi pour tenir tête à Lev et le blesser.

- Peut être que vous le connaissez. Le monde est petit, mais je n'ai pas d'informateurs qui me rapportent tout ce que mes amis font.

Mon ami. Je n'en avais qu'un actuellement. Raison de plus pour le protéger.

- Mais je ne vous donnerais pas son nom. Je l'ai déjà trop mêlé à cette affaire. Il a risqué sa vie le soir où le démon a tenté de me tuer, je n'ai pas envie de l'impliquer plus. Mais sachez que vous n'avez rien à craindre de son côté. C'est un loup solitaire que ne nourrit aucune ambition.

Je pouvais facilement affirmer ce dernier point. Lev était un alpha mais il ne cherchait pas à créer sa meute. Le pouvoir ne l'intéressait pas.

Du coin de l'oeil, je vis le serveur qui revenait pour voir si nous avions choisi. Une parfaite diversion. Vinur n'osera pas parler en sa présence et il sera sans doute un peu moins contrarié après cette petite diversion.

Je souris et le serveur y vit un signe lui indiquant qu'il pouvait venir.

Je commandai une dorade et attendis que Vinur donne aussi sa commande.

— Peut être que vous le connaissez. Le monde est petit, mais je n'ai pas d'informateurs qui me rapportent tout ce que mes amis font. Mais je ne vous donnerais pas son nom.

Première erreur.

— Je l'ai déjà trop mêlé à cette affaire. Il a risqué sa vie le soir où le démon a tenté de me tuer, je n'ai pas envie de l'impliquer plus.

Deuxième erreur.

— Mais sachez que vous n'avez rien à craindre de son côté. C'est un loup solitaire qui ne nourrit aucune ambition.

Dimma allait répondre, mais il remarqua que le serveur arrivait. Vite, il rangea le poignard de Reiji. Mieux valait attendre. Symphonie commanda une dorade.

— Et moi un Sannleikurinn. J'espère qu'il vous en reste.
— Bien entendu, Monsieur. C'est notre plat le plus demandé.
— Il est frais ?
— De ce matin. Il nous faut juste le temps de le préparer.
— Ça sera parfait. Apportez-nous une bouteille de Pinot Blanc, aussi. C'est un vin de France, ajouta Dimma à l'attention de Symphonie. Parfait pour accompagner le poisson.

Le serveur repartit avec ses commandes, vers les cuisines.

— Si j'ai choisi ce restaurant, c'est pour ce plat précis. C'est un plat que l'on ne trouve que chez moi, en Islande, un assortiment de légumes et de fruits.

Dimma était exclusivement végétalien, et croyait bien plus dans la force des plantes que dans les vertus de la nourriture animale.

— Ne vous embêtez pas, je paierai l'addition, ajouta-t-il avec un petit sourire derrière le masque. Mais reprenons nos affaires. Vous vous êtes donc attachée à votre sauveur. Et il est même parvenu à vous... adoucir.

Pourquoi cette femme qui ne se soucie de personne désirerait protéger un individu, sinon parce qu'elle s'y était attachée ? Elle était froide et distante avec Dimma, maintenant qu'il avait rempli sa tâche. Alors que ce loup-garou, elle le couvrait...

— Je pense que je ne parviendrai pas à vous délier la langue. Cela aurait pu éponger votre dette, mais soit, je respecte votre décision. Autant passer une soirée agréable en compagnie d'une dame ravissante. Parlez-moi de vous.

— Si j'ai choisi ce restaurant, c'est pour ce plat précis. C'est un plat que l'on ne trouve que chez moi, en Islande, un assortiment de légumes et de fruits.

Oh vraiment ? Je ne connaissais pas ce plat. Peut-être que je reviendrais ici pour y gouter.

— Ne vous embêtez pas, je paierai l'addition.

C’était plutôt évident. Je n’avais jamais payé le restaurant à qui que ce soit.

- Mais reprenons nos affaires. Vous vous êtes donc attachée à votre sauveur. Et il est même parvenu à vous... adoucir.


Je me figeai. Attachée ? Adoucie ? Mais pas du tout !

Et puis comment pouvait-il me trouver adoucie alors qu’il ne m’avait vue qu’une fois auparavant ? Non, voilà, ça n’avait aucun sens. Je n’étais ni attachée, ni plus douce.

Je passais des moments très agréables avec Lev et il était donc dans mes intérêts que j’évite de le mêler à quoi que ce soit qui pourrait gâcher cette situation. C’est tout.

— Je pense que je ne parviendrai pas à vous délier la langue. Cela aurait pu éponger votre dette, mais soit, je respecte votre décision. Autant passer une soirée agréable en compagnie d'une dame ravissante. Parlez-moi de vous.

D’un côté, je n’allais pas lui donner le nom de Lev. Mais de l’autre, j’aurais bien aimé payer ma dette aussi facilement. J’appréhendais un peu ce qu’il allait me demander en réalité. Il semblait avoir quelque chose de bien précis en tête.

Il avait peut-être raison. Je m’étais adoucie. Je connaissais un tas de loups-garou. Du moins. Je savais ce qu’ils aimaient. Et j’aurais pu donner le nom de n’importe lequel d’entre eux à la place.  

Je me rattraperais plus tard. D’ailleurs il était évident que je n’allais pas réellement parler de moi. Je connaissais parfaitement cette invitation à parler de moi. C’était par politesse, pour faire la conversation, plaire à l’autre. Il n’avait en aucun cas envie de connaitre mon passé.

- Oh, je n’ai pas grand-chose d’intéressant à dire. J’ai grandi dans l’océan Atlantique et je n’en suis sortie qu’il y a très peu de temps. Une dizaine d'années.

C'était une vingtaine en réalité. Mais comparé à mon espérance de vie et au temps que j’avais passé sous l’eau, on pouvait vraiment dire que je n’étais sur terre que depuis très peu de temps.

Je pris un air un peu plus mélancolique.

- Je n’ai plus aucune famille. Mes sœurs ont toutes été tuées pendant la guerre, j'en suis la seule rescapée.

Le coup de la famille morte pendant la guerre faisait toujours son petit effet. A vrai dire, je ne savais pas du tout ce qu’il était advenu de ma famille, je m’en fichais même, et personne ne pouvait aller vérifier quoi que ce soit puisque cela faisait des années que je ne donnais plus mon véritable nom. En fait, je ne l’avais jamais donné à un être de la surface. Mais cela n’avait aucune importance.

Je reportai l’attention sur lui. Les gens aimaient parler d’eux. C’était le secret d’un repas en tête à tête réussi.

- Et vous ? Vous me semblez plutôt nostalgique de votre pays d’origine.

— Oh, je n’ai pas grand-chose d’intéressant à dire. J’ai grandi dans l’océan Atlantique et je n’en suis sortie qu’il y a très peu de temps. Une dizaine d'années.

Au contraire, c'était très intéressant. Cela signifiait qu'elle était sortie de l'eau au moment de la guerre.

— Je n’ai plus aucune famille. Mes sœurs ont toutes été tuées pendant la guerre, j'en suis la seule rescapée.

Cela aussi, c'était intéressant. Cela signifiait que Dimma n'aurait pas la visite d'une grande soeur énervée parce qu'il l'aurait torturée. Mais leur relation n'en était pas encore à ce stade. Bientôt, mais pas encore.

— Et vous ? Vous me semblez plutôt nostalgique de votre pays d’origine.

Dimma secoua la tête et soupira.

— Je l'ai assiégé et fait raser. J'ai fait déporter des milliers de femmes et d'enfants dans des camps de travaux forcés et ai fait exterminer le reste. C'était le bon vieux temps. Mais revenons à vous, votre histoire est bien plus passionnante.

C'était vrai, il le pensait. La connaissance était synonyme de pouvoir.

— Vous êtes donc sortie de l'eau pour la première fois au moment de la guerre. Cela a dû vous prendre de court. Vous avez même dû vous habituer plutôt vite. Je suis surpris que vous soyez encore vivante, pour être honnête.

Le serveur revint, et leur versa à chacun un peu de Pinot Blanc dans des verres-ballons.

— Excusez-moi.

Dimma baissa le capuchon sur ses épaules, et ôta son masque, qu'il posa à côté de lui. Son visage était fin, la peau mate, les cheveux bruns et plaqués en arrière, et les yeux à l'iris pâle, presque blanc. Il sourit à Symphonie, et souleva son verre.

— À toutes les sirènes qui ont du cran.

Il avala deux gorgées et reposa le verre.

— Alors, où étiez-vous ?

Il secoua la tête.

— Je l'ai assiégé et fait raser. J'ai fait déporter des milliers de femmes et d'enfants dans des camps de travaux forcés et ai fait exterminer le reste. C'était le bon vieux temps. Mais revenons à vous, votre histoire est bien plus passionnante.

Oooookay. C’était véritablement effrayant. C’était une raison de plus pour mentir un maximum à mon sujet.

C’était le genre de personne qui était efficace en affaires, mais à laquelle il valait mieux éviter de se lier. Et ne jamais s’en faire un ennemi.

Enfin. Tout le monde peut glisser sous sa douche et se briser la nuque. C’était une valeur sûre.

— Vous êtes donc sortie de l'eau pour la première fois au moment de la guerre. Cela a dû vous prendre de court. Vous avez même dû vous habituer plutôt vite. Je suis surpris que vous soyez encore vivante, pour être honnête.

Un léger sourire s’étira sur mes lèvres.

Il était loin, très loin d’être stupide. Il fallait que je le mette un peu plus en confiance si je voulais éviter qu’il cherche la petite bête au milieu de mes mensonges.

Le serveur revint avant que je dise quoi que ce soit et versa le vin. Mon regard examina Vinur et une évidence me frappa. Comment allait-il boire et manger avec son masque ?

— Excusez-moi.

Je ne pensais pas avoir ma réponse aussi tôt, et c’était pour le moins… Inattendu et évident. Il retira son masque.

Alors qu’à notre première rencontre il n’avait pas hésité à se montrer nu, il avait, néanmoins, caché son visage.

Alors le voir tel qu’il était, là, était… Perturbant. Très perturbant.

Comme tous les elfes, il était beau. Et si je l’avais rencontré dans une situation différente, si je ne savais pas ce que je savais, si je n’avais pas de dette envers lui et s’il n’avait pas continuellement ce masque, j’aurais sans doute essayé de l’attirer dans mes filets.

Oh, c’était toujours possible, mais cette dette me tracassait.

Le son de sa voix me fit revenir à la réalité.

— À toutes les sirènes qui ont du cran.

Je ne pus m’empêcher d’esquisser un sourire et bu en même temps que lui.

Très bon ce vin.

— Alors, où étiez-vous ?

Où en étais-je ? Avec le trouble qu’il avait jeté j’avais un peu de mal à me rappeler où nous en étions. Voyons, je l’avais barratiné à mon sujet, puis je lui avait posé une question sur son pays natal, ce à quoi il avait répondu un truc terrifiant et , ah oui, j’y étais…

- Ma sortie de l’océan… J’ai été prise de court, en effet. Mais mes sœurs étaient sorties bien avant moi et m’ont protégée. Quand elles sont mortes je me suis tout simplement cachée.

Pour la fin, je m’inspirais de l’histoire d’un dragon que j’avais récemment rencontré. J’avais suivi son histoire depuis mes draps et je n’aurais jamais pensé le voir en chair et en os. Un peu comme une légende urbaine qui se matérialisait.

- J’ai eu de la chance que personne ne s’intéresse aux sirènes.

Le serveur arriva avec nos plats et les déposa sur la table avant de disparaitre à nouveau. C’était un service rapide !

— Ma sortie de l’océan… J’ai été prise de court, en effet. Mais mes sœurs étaient sorties bien avant moi et m’ont protégée. Quand elles sont mortes je me suis tout simplement cachée.

Tout simplement. Rien n'était jamais simple. Sinon, cela faisait longtemps que Dimma aurait conquis la mort. Et le monde. Et Edora. Et le forum. Et les admins. Et... bref.

— J’ai eu de la chance que personne ne s’intéresse aux sirènes.
— Ou plutôt que personne ne sache faire la différence entre une sirène et un autre être vivant. Car croyez-moi, mais vous le savez déjà, vous avez bien plus de valeur que ce que votre corpulence laisse penser.

Le serveur vint déposer les plats, et repartit aussitôt. Un service net, rapide, efficace, comme Dimma les appréciait.

Il attendit par politesse que la sirène attaquât son plat la première, puis l'imita.

— J'espère au moins que vous avez désormais fait fi de votre passé et que vous vous concentrez sur votre présent.

Il avala une gorgée de vin.

— Rien n'est pire que de laisser la nostalgie et les remords hanter le moment présent. Je suppose que vous êtes un peu familière avec la philosophie d'Épicure. Il affirmait qu'il ne fallait pas se laisser retenir par le passé, parce qu'il n'existait plus, et qu'il ne fallait pas s'effrayer du futur car il n'était pas encore advenu. Enfin, il s'agit là d'une pensée hédoniste plutôt générale, tout compte fait.

Il continuait à manger sans trop prêter attention à sa compagne. Il aurait pu passer pour un pervers, ce qu'il ne voulait pas. Il lui versa même un peu de vin, comme le voulait la tradition. Un vrai gentleman. Islandais. Elfe. Génocidaire.

Tout ce qu'il souhaitait, c'était poursuivre sa conversation avec cette charmante jeune femme pour la distraire suffisamment longtemps.

En effet, il y avait une raison pour laquelle il avait décidé de se montrer trois jours en avance au rendez-vous... Il avait entre-temps "acquis" le restaurant, et avait "incité" les cuisiniers à préparer un plat spécial à base de thiopental pour la sirène.

Ce n'était ni plus ni moins qu'un sérum de vérité. Cela allait lui embrouiller le cerveau, et, combiné à l'action du vin, cela allait la rendre beaucoup plus... spontanée et naturellement volontaire.

— Saviez-vous, d'ailleurs, que c'est à cause des platoniciens que l'on considère de nos jours les hédonistes comme des débauchés ? Une simple rivalité philosophique peut mener parfois à de tristes extrémités. Tenez, c'est par exemple, le conflit qui oppose les anges aux démons, ou les vampires aux loups-garous. Ce sont des races quasiment identiques qui ne se voient qu'au travers d'un miroir déformant...

Comme lui et elle. En fin de compte, ils n'étaient que deux joueurs qui se livraient une partie d'échecs acharnée.

— Je pense d'ailleurs que je vais vous assigner une petite troupe de gardes-du-corps. Juste au cas où, le temps que vous payiez votre dette. Le loup-garou qui vous avez sauvé est peut-être fort, mais il ne sera pas toujours là. Corrigez-moi si je me trompe, mais vous lui cachez des choses, n'est-ce pas ?

Les simulacres. Tout était question de simulacres.

— Ou plutôt que personne ne sache faire la différence entre une sirène et un autre être vivant. Car croyez-moi, mais vous le savez déjà, vous avez bien plus de valeur que ce que votre corpulence laisse penser.

Vil flatteur.

J’avais déjà eu un aperçu de cette capacité à me brosser dans le sens des écailles. Il était doué. Très doué. Je m’y laisserais même volontiers aller. Avec son physique à tomber, sa voix envoutante et ses paroles séduisantes, il serait très facile de lui céder.

Mais je me forçais justement depuis des années à ne pas tomber dans ce genre de piège.
Céder c’était perdre le contrôle. Et le contrôle, c’était tout ce que j’avais.

Je devais reporter mon attention sur autre chose. Mon assiette par exemple.

Et ce poisson était divin !

Il valait vraiment le prix affiché sur le menu !

— J'espère au moins que vous avez désormais fait fi de votre passé et que vous vous concentrez sur votre présent.

Je cachai un léger trouble en buvant une gorgée de vin.

On m’avait récemment conseillé d’oublier la guerre, justement. J’y réfléchissais beaucoup en ce moment.

Disons que c’était encore trop embrouillé, conflictuel, voire chaotique sur ce point-là, pour le moment.

— Rien n'est pire que de laisser la nostalgie et les remords hanter le moment présent. Je suppose que vous êtes un peu familière avec la philosophie d'Épicure.

Je hochai légèrement la tête avec un sourire pour confirmer ses dires sans lui couper la parole pour autant et avalai une nouvelle bouchée de poisson.

- Il affirmait qu'il ne fallait pas se laisser retenir par le passé, parce qu'il n'existait plus, et qu'il ne fallait pas s'effrayer du futur car il n'était pas encore advenu. Enfin, il s'agit là d'une pensée hédoniste plutôt générale, tout compte fait.


En d’autres circonstances, j’aurais pu penser qu’il me draguait. Mais je savais que je ne lui faisais aucun effet. Je l’avais constaté la dernière fois, et n’avais rien repéré au début du repas.

Il versa un peu de vin dans mon verre et continua.


— Saviez-vous, d'ailleurs, que c'est à cause des platoniciens que l'on considère de nos jours les hédonistes comme des débauchés ? Une simple rivalité philosophique peut mener parfois à de tristes extrémités. Tenez, c'est par exemple, le conflit qui oppose les anges aux démons, ou les vampires aux loups-garous. Ce sont des races quasiment identiques qui ne se voient qu'au travers d'un miroir déformant...

Je bu une gorgée et acquiesçai.

- C’est très juste. J’ai pu constater par moi-même que chaque race se valait, moralement parlant.

— Je pense d'ailleurs que je vais vous assigner une petite troupe de gardes-du-corps. Juste au cas où, le temps que vous payiez votre dette. Le loup-garou qui vous avez sauvé est peut-être fort, mais il ne sera pas toujours là. Corrigez-moi si je me trompe, mais vous lui cachez des choses, n'est-ce pas ?

Je me figeai. C’était plutôt inattendu.

Mon regard s’assombrit.

- Je passe beaucoup de temps avec lui. Mais je doute qu’il accepte certains de mes vices, même si nous ne sommes qu’amis.

Je pris une nouvelle bouchée.

- Cela dit, je n’ai pas très envie d’avoir des gardes du corps qui me collent sans arrêts. C’est une intention tout à fait charmante de votre part, mais je tiens beaucoup trop à ma liberté.

Je marquai un temps de pause.

- Et j’ai beau avoir un fort appétit sexuel, je ne suis pas vraiment axée sur le voyeurisme.

Pourquoi je parlais de ça moi ? C’était un point gênant, certes, mais il n’avait pas à le savoir.

Je fronçai les sourcils, gênée par ces paroles qui m’avaient échappées.

— Je passe beaucoup de temps avec lui. Mais je doute qu’il accepte certains de mes vices, même si nous ne sommes qu’amis.

Le pauvre. À peine rencontré, déjà profondément enlisé dans la friendzone. Certaines personnes n'avaient pas beaucoup de chance.

— Cela dit, je n’ai pas très envie d’avoir des gardes du corps qui me collent sans arrêts. C’est une intention tout à fait charmante de votre part, mais je tiens beaucoup trop à ma liberté.

Bien, le thiopental commençait déjà à faire. Cela ne serait plus qu'une question de posts avant qu'elle ne dise tout ce qu'il avait besoin de connaître.

— J'entends bien. Croyez bien que cette suggestion n'est pas de gaité de coeur. Il me faut une garantie que vous puissiez un jour vous acquitter de votre créance.

Il termina son plat.

— Vous êtes à l'heure actuelle la personne à laquelle je tiens le plus.

Il lui prit ses mains dans les siennes et les serra tendrement en lui souriant.

— Ne gâchez pas tout sur un coup de tête.

Il la lâcha soudain, confus.

— Veuillez m'excuser. Je ne suis pas habitué à ce genre... d'élan d'affection. Pardonnez-moi de vous avoir indisposée...

Il but une dernière gorgée de vin.

— Me permettrez-vous au moins de vous raccompagner ce soir ?

— J'entends bien. Croyez bien que cette suggestion n'est pas de gaité de coeur. Il me faut une garantie que vous puissiez un jour vous acquitter de votre créance.

J’esquissai une moue contrariée et avalai une nouvelle bouchée de poisson.

— Vous êtes à l'heure actuelle la personne à laquelle je tiens le plus.

- Quoi ?!

Je le laissai me prendre les mains, écarquillant les yeux. Soufflant :

- Je pensais que je ne vous faisais aucun effet !


— Ne gâchez pas tout sur un coup de tête.

J’étais… perturbée. Cet homme séduisant et terriblement puissant était en train de me faire une véritable déclaration. J’avais l’impression de me retrouver quelques temps en arrière.

Qu’est-ce que je devais faire ? Je n’arrivais plus à penser clairement, peut-être à cause de cette révélation, du vin, des couleurs qui dansaient… Je ne sais pas…

Il lâcha mes mains et je restai un instant à les fixer, comme si je tentais de comprendre quelque chose qui m’échappait.


— Veuillez m'excuser. Je ne suis pas habitué à ce genre... d'élan d'affection. Pardonnez-moi de vous avoir indisposée...

Je haussai les épaules pour le rassurer.

- J’y suis habituée.

C’était vrai. J’avais joué sur ce genre de sentiments tout au long de la guerre et pour mes trois mariages qui m’avaient assuré une prospérité financière qui durera sans doute pour les deux cents ou trois cent prochaines années.


— Me permettrez-vous au moins de vous raccompagner ce soir ?

Je fronçai les sourcils, baissai le regard, me mordillant la lèvre inférieure, je laissai échapper, d’une petite voix :

- J’avais prévu de rentrer chez Lev, je n’aime pas trop lui cacher ce que je fais…

J’hésitai, prenant une moue de petite fille tentée par un gigantesque gâteau au chocolat que sa mère lui a interdit.

- Mais vous êtes vraiment tentant…

Je tentai de réfléchir quelques secondes avec cette étrange sensation de ne pouvoir réfléchir plus loin que le bout de mon nez. J’étais mentalement une taupe qui flottait sur un petit brouillard. C’est mignon les taupes. Enfin, je crois. Je n’en avais jamais vu en vrai.

— J’avais prévu de rentrer chez Lev, je n’aime pas trop lui cacher ce que je fais…

Pardon ?

— Mais vous êtes vraiment tentant…

Lev ? C'était Lev, le loup-garou qui la protégeait ? C'était Lev, le loup-garou qui l'avait sauvée ? C'était Lev, enfin, le loup-garou qui avait bien secoué Reiji le démon ?

Mais... c'était impossible. Lev était incapable d'appréhender ne serait-ce qu'une fraction de seconde la complexité d'esprit d'une femme ! Il était d'ailleurs incapable d'appréhender quoi que ce fût...

Dimma lui posa un doigt sur les lèvres.

— Pas encore, ma chère... Pas encore.

Non, pas encore. Car pour l'heure, Lev était devenu son intérêt primordial. Peut-être pouvait-il convaincre Symphonie de la ramener chez Lev... et d'enchaîner une discussion avec le loup-garou... Elle avait eu raison, tout à l'heure. Le monde est petit. Mais dans quelque temps, il allait s'alléger de deux démons...

Néanmoins, Dimma s'inquiétait. Lev était un crétin fini, il avait à peine compris pourquoi l'Elfe l'avait "embauché". Mais pire encore : c'était un crétin fini droit. Il refuserait sûrement de remonter la piste jusqu'à la personne que chérissait Reiji.

À moins d'orienter la discussion vers la prévention et la sécurité de Symphonie... Oui... Peut-être que dans ce cas-là, la persuasion fonctionnerait mieux...

Dimma se rendit compte que le serveur avait débarrassé leur table et était revenu avec la carte des desserts. L'Elfe génocidaire déclina la proposition, préférant commander un 86ème rooibos. Il lui restait encore 19 tasses avant d'atteindre le seuil limite d'overdose.

— Excusez-moi, fit-il à nouveau à l'attention de Symphonie, mais je vous ai posé beaucoup de questions sur votre vie, et c'était très indiscret de ma part. Comment puis-je me faire pardonner ?

Il posa un doigt sur mes lèvres et je me figeai, agréablement surprise par ce contact. J’avais l’impression que mon esprit ne filtrait plus rien et tout semblait étrange et normal à la fois.

— Pas encore, ma chère... Pas encore.

Il s’écarta et je pu de nouveau parler.

- Ne promettez rien que vous ne puissiez réaliser.

Mais il ne m’écoutait visiblement pas, perdu dans ses pensées.

Je fronçai les sourcils. Ce n’était pas vraiment poli et je ne savais pas du tout ce qui le faisait réfléchir autant. Etait-ce parce que je vivais chez un autre homme et qu’il en était jaloux ? Parce qu’il avait oublié d’éteindre le gaz avant de partir ? Ou parce qu’il était déjà marié et que sa femme se douterait de quelque chose ?

Je reportai mon attention sur la carte que nous tendit le serveur, parcourus rapidement le menu et me rendis compte que je n’avais plus très faim. Je demandai donc un thé au jasmin.


— Excusez-moi, mais je vous ai posé beaucoup de questions sur votre vie, et c'était très indiscret de ma part. Comment puis-je me faire pardonner ?

- Parlez-moi de vous alors. Racontez-moi votre histoire, comment vous en êtes arrivé là et pourquoi vous portez un masque alors qu’il n’y a aucune anomalie à cacher. Je posai ma main sur ma paume et plongeai mes yeux dans les siens. Ce dernier détail m’intrigue beaucoup.

Tout en disant cela, mon pied effleurait légèrement sa jambe, remontant doucement mais pas trop haut non plus.

— Parlez-moi de vous alors. Racontez-moi votre histoire, comment vous en êtes arrivé là et pourquoi vous portez un masque alors qu’il n’y a aucune anomalie à cacher. Ce dernier détail m’intrigue beaucoup.

Dimma sentit soudain le pied de la "jeune" femme lui caresser la jambe. D'accord, le thiopenthal commençait à faire un peu trop effet. Il valait mieux couper court à la conversation.

Toutefois... elle pouvait encore le mener directement à Lev... Dimma finirait forcément par le retrouver, tôt ou tard, mais Symphonie pouvait l'y guider dans les heures qui suivraient. Il devait simplement s’absenter durant un petit moment, mais il trouverait bien une parade.

Il choisit donc de jouer le jeu, et laissa la sirène continuer ses attouchements indiscrets et impolis.

— J’ai plus de 600 ans, ma vie serait trop longue et pas assez intéressante pour être entièrement racontée.

Il sourit et lui serra les doigts dans la main.

— J’ai passé la majeure partie de mon existence à servir dans l’armée. J’ai exploré le monde entier, j’ai découvert des endroits fascinants.

Qu’il avait mis a à sac puis rasés.

— J’ai brièvement fait de la politique, afin de trouver une autre voie que la guerre. Mais ça a été un échec. Je suis alors retourné à l’armée, en tant que consultant stratégique.

Il venait de résumer 500 ans d’existence en seulement quelques mots. Il était temps d’y aller.

— Et en ce qui concerne le masque…

Il sourit, et replaça le masque sur son visage. Sa voix redevint plus brouillée et son timbre métallisé.

— Je crois que vous n’êtes pas encore prête à savoir.

Il baissa subrepticement un doigt, forçant le sang de la sirène à quitter momentanément son cerveau. En moins de dix secondes, elle perdrait connaissance. Ce serait largement suffisant.

— J’ai plus de 600 ans, ma vie serait trop longue et pas assez intéressante pour être entièrement racontée.

600 ans ! Cet homme avait au moins trois fois mon âge !

Je ne pus retenir une légère exclamation.

- Vous êtes beaucoup plus vieux que moi !

Je me sentais toute petite d’un coup en face de lui !

Toute petite et absolument inexpérimentée.


— J’ai passé la majeure partie de mon existence à servir dans l’armée. J’ai exploré le monde entier, j’ai découvert des endroits fascinants. — J’ai brièvement fait de la politique, afin de trouver une autre voie que la guerre. Mais ça a été un échec. Je suis alors retourné à l’armée, en tant que consultant stratégique.

La première phrase résumait très bien l’ensemble de ce qu’il venait de dire. Il avait vraiment passé beaucoup de temps dans l’armée.

Peut-être un peu trop même.

Et comment en était-il arrivé à faire ce qu’il faisait maintenant ? Et qu’est-ce qu’il faisait maintenant d’ailleurs ?

— Et en ce qui concerne le masque…

Il replaça ledit masque sur son visage et je ne retins pas une moue déçue. D’autant plus qu’il n’y avait aucune raison pour qu’il le remette !

— Je crois que vous n’êtes pas encore prête à savoir.

Je fronçai les sourcils et me redressai mais ma vue se brouilla alors que tout se mit à tourner légèrement autours de moi. M’adossant instinctivement à ma chaise pour ne pas tomber en arrière, je tentai de reprendre mes esprits, en vain. Ses paroles, bien qu’énigmatiques, n’étaient plus une priorité. Je me sentais sombrer sans comprendre pourquoi.

Un voile noir s’abattit sur mon esprit tandis que ma tête bascula légèrement en arrière tandis que je glissai de ma chaise, inconsciente.

En seulement quelques instants, Symphonie vacilla. Dimma se leva d'un bond et la rattrapa de justesse. Sans soucier même un instant du regard des gens, il la plaça sur son épaule, et l'emmena directement dans les cuisines, où il la laissa aux bons soins de ses amis.

— Appelez les urgences s'il le faut, j'en ai pour 30-40 minutes.

Et il partit s'occuper de ses affaires.

Précisément 32 minutes plus tard, Dimma reparut au restaurant. Son masque était fissuré, ses habits déchirés, et il serrait dans la main un sabre de la Russie de la fin du 19ème siècle, début 20ème. Il respirait bruyamment et se tenait aux murs, et il avait de solides raisons pour cela : il venait d'exterminer une quarantaine de personnes rue du Solstice d'Hiver et de combattre un communiste plutôt résistant.

Sans dire un mot, il fusa dans les cuisines, et récupéra Symphonie. Il sortit alors de l'établissement, fit quelques mètres, et commença à la réveiller en lui caressant la joue.

— Réveillez-vous, mon amie...

L'excuse ? Ils venaient d'être attaqués par des ennemis de Dimma, et sachant Symphonie en danger, il avait décidé de la ramener chez Lev pour la mettre en sécurité.

— Je vous raccompagne chez Lev. Vous y serez en sécurité.

La première chose que je sentis en revenant à moi fut une main caressant ma joue, puis une voix grave, résonnant au creux de mes oreilles.


— Réveillez-vous, mon amie...

Je revenais doucement à moi, me demandant ce qu’il venait de se passer. J’étais au restaurant et j’avais fait un malaise.

Je n’avais jamais fait de malaise avant. Combien de temps étais-je restée inconsciente ? Pourquoi étais-je dehors, dans les bras de Vinur ?

Je levai les yeux vers lui et les écarquillai en voyant son état.

- Qu’est-ce qu’il s’est passé ?! Soufflais-je, pas encore remise.

Il m’expliqua vaguement qu’il y avait eu une attaque et conclu :

— Je vous raccompagne chez Lev. Vous y serez en sécurité.

Je hochai la tête et soupirai :

- C’était vraiment pas le moment pour faire un malaise !

Surtout que je n’avais aucune idée de ce qui l’avait causé. Je me blottis contre lui, toujours affaiblie, et lui indiquai le chemin.

- Par contre, il n’était pas au courant que je sortais ce soir… J’ai un peu peur qu’il le prenne mal… Prévins-je en ajoutant, coupable. Je n’ose pas vraiment lui dire pour la plupart de mes nuits. Ca le blesserait trop.