Regarde comme il fait beau dehors ! [Libre]

Le Hákarl, vaisseau-amiral de la Kabbale, était amarré aux quais du port. C'était le vaisseau-amiral par défaut, car il s'agissait, en vérité, du seul navire dont disposait la Kabbale. Ce bâtiment avait été réquisitionné par Dimma, suite à un différend avec son ancien propriétaire. Cet homme avait une dette importante à éponger, et avait naturellement cédé son bateau, avant de faire une expédition sans retour au fond de l'océan, à une vingtaine d'encablures du port.

Dans ce vaisseau-amiral, Dimma se sentait à la fois invincible et très vulnérable. Personne ne pouvait l'atteindre, à moins d'esquiver les innombrables pièges et systèmes de sécurité, de tromper la vigilance des gardes, de survivre à Jorge, le Razoran mexicain, et, enfin, de battre Requiem.

Cependant, la quasi-totalité des pouvoirs de Dimma étaient inutiles sur l'eau. Il n'avait pas l'avantage dans des milieux aussi hostiles, comme la montagne, la forêt ou, pire encore, une prairie. Là où la photosynthèse régnait, Dimma était inoffensif. L'océan ne faisait pas exception à la règle : ses pouvoirs ne lui étaient d'aucune utilité une fois au large.

C'était pour cette raison qu'il avait fait installer un vaste laboratoire de recherches dans les cales du Hákarl. Les scientifiques de la Kabbale travaillaient jour et nuit pour trouver un moyen de donner à leur chef et maitre la capacité d'utiliser ses pouvoirs en pleine mer. Ses sbires tentaient de s'inspirer des anguilles électriques, mais cela n'avait jusque-là donné aucun résultat satisfaisant. D'un part parce que les anguilles électriques étaient des poissons d'eau douce, d'autre part parce que Dimma n'était pas un poisson lui-même, et que cela, par conséquent, posait quelques menus problèmes d'adaptation.

C'était donc sur le port que Dimma discutait de l'avancement des recherches avec son chef de R&D, le Professeur Mahmoud Saffat, un Erian. Naturellement, Dimma n'autorisait aucun télépathe à entrer à son service, les rares Erians qui travaillaient pour lui étaient donc tous adeptes de la télékinésie.

Ils marchaient tous deux le long de l'eau, Dimma lentement et pourtant le Professeur Saffat semblait se précipiter constamment derrière lui et tenter de récupérer son souffle, comme un petit chien nerveux.

— Ce n'est qu'un petit contre-temps, Stjórnandi. Nous allons rattraper notre retard au plus vite.
— Je le sais, Professeur. Je le sais.
— Les dernières simulations étaient prometteuses, mais nous avons besoin d'un peu plus de temps si nous voulons passer aux essais pratiques.
— Je pense que vous n'attaquez pas les choses du bon angle, Professeur.

Dimma s'arrêta et se tourna vers l'océan.

— Vous utilisez des créatures d'un autre monde, Professeur Saffat. Aujourd'hui, l'anormal est devenu la norme. Le surnaturel est devenu le naturel. Edora est un univers vaste, Professeur.

Il baissa le ton et orienta son visage masqué en direction du Professeur Saffat.

— Trouvez-moi des créatures monstrueuses. Des Elfes, des Cyborgs, des Dragons s'il le faut. Dans tout ce lot, il y en aura forcément un qui aura les capacités que je recherche.

— Reprenons l’idée de l’anguille, Professeur. C’est une idée originale et plutôt ingénieuse. Adaptez-la à notre faune locale de monstres en liberté. Qu’est-ce qui, d’après vous, se rapproche le plus d’une anguille électrique ?
— À part…
— Oui, à part moi, oui.
— Eh bien... Il n'y a pas vraiment de créatures marines, par ici. Peut-être une sirène...
— Exactement, Professeur. Une sirène.

Ils continuaient à marcher tout en parlant. Cela désolait Dimma de devoir expliquer à l'un de ses meilleurs scientifiques ce qu'il désirait vraiment. D'ordinaire, ils étaient plus à l'écoute, et plus inventifs que cela. Peut-être le Professeur Saffat traversait-il une mauvaise passe à ce moment de sa vie...

— Mais les sirènes ne sont pas capables de manipuler l'électricité sous l'eau.
— Non, mais elles sont capables de se mouvoir rapidement et sans aucune difficulté. Cela en fait des tests de choix.
— Très bien, Stjórnandi.

Alors qu'ils avançaient sur le ponton, ils furent subitement entourés par une quinzaine de personnes armées et, au vu de leur visage, très mal intentionnées.

— C'est vous, l'auteur du massacre de la rue de solstice d'hiver, dit à Dimma l'un des assaillants. Vous allez payer pour nos familles.

L'Elfe demeura impassible, les mains dans le dos. Il était plus interloqué qu'effrayé, surpris à la pensée que des gens avaient effectivement survécu au massacre de la St Romain.

— Vous n'êtes pas sérieux, leur répondit-il lentement.

Les hommes braquèrent soudain leurs armes les uns sur les autres, ayant perdu toute volonté sur leurs mouvements. Ils tremblaient, luttaient contre ce phénomène en essayant de baisser les bras, mais rien n'y faisait. Ils pressèrent alors tous simultanément la gâchette. Quinze détonations retentirent, et ils tombèrent tous en arrière.