Une autre bonne soirée qui s'annonce...

Je fréquentais rarement les casinos ces derniers temps. Un coup de fatigue sans doute. Mais rencontrer trois hommes sur lesquels je n’avais eu aucun effet m’avait fait réagir. Il fallait que je me reprenne. Mon corps était une arme qui s’était sans doute émoussé depuis la fin de la guerre.

Je n’avais plus besoin de séduire pour survivre, comme l’avait si bien précisé Zorcha, mais j’avais tout de même failli mourir assassinée et j’aurais bien pu me déshabiller totalement sans que le tueur ne réagisse. Je faiblissais, j’avais besoin de conclure des marchés, de me réfugier auprès de personnes plus puissantes, c’était signe qu’il me fallait faire un peu d’exercice pour retrouver la forme. Non pas que finir presque tous les soirs avec un homme différent n’en soit pas, mais c’était trop… Facile. J’avais besoin d’un challenge.

Le casino était donc un endroit parfait pour cela. C’était rempli d’accros aux jeux ruinés, de riches chanceux et de loups à l’affut du moindre pigeon à plumer.

Je ne visais pas lesdits pigeons. Enfin presque. J’étais assez riche suite à mes trois mariages qui s’étaient brutalement terminés suite au *sortez les violons* décès « accidentel » de mes fortunés maris et je ne dépensais presque rien, me faisant payer tout ce que je souhaitais quand je le souhaitais. Ce qu’il me fallait c’était un défi.

J’avais vaguement informé Lev de ma sortie. Non pas que je lui doive des comptes, mais je me sentais toujours coupable quand je sortais satisfaire mes besoins primaires. Je lui avais dit que j’allais au casino sans préciser mon but et dû lui promettre de ne pas miser plus que ce que j’avais sur moi. Je ne lui mentais pas à proprement parler, mais ça me mettait tout de même mal à l’aise de lui cacher cette facette de moi.

Pour l’occasion, j’avais donc enfilé une robe noire ornée de dentelle de même couleur, contrastant avec ma peau pâle et mes cheveux d’un blond si froid qu’ils sembleraient presque blancs sous les projecteurs du casino (mon look était étudié en fonction, of course), je les avais relevés en un chignon faussement négligé, laissant quelques mèches retomber délicatement à certains endroits. La robe dévoilait mon dos et les poissons qui y coulaient de ma nuque jusqu’à ma hanche, seules notes de couleurs douces, aquarellées. Mes jambes, atout majeur, étaient vaguement couvertes par des collants presque transparents retenus par un porte-jarretelle en dentelle noire (j’aimais assortir mes sous-vêtements à ma tenue), et terminée par une paire d’escarpins en velours noir. J’avais mis en valeur mes yeux bleus par un trait d’eye liner et un peu de far noir et mes lèvres pulpeuses par une touche légèrement rosée, discrète. Pour ce qui était du parfum, je n’en avais pas mis, comme à mon habitude. Trop de créatures avaient l’odorat sensible, il me fallait donc, sur ce point-là, uniquement compter sur mon hygiène irréprochable.

Une fois à l’intérieur du bâtiment, je ne pouvais passer inaperçue. Je rejetai deux trois hommes, une femme très élégante, et cédai à quelques paumés un peu trop chanceux pour qu’on leur laisse assez d’argent pour bâtir un empire entre les mains. Ils avaient accepté avec bien trop de plaisir que je les en allège, évidemment. Mais là encore, c’était trop simple. Beaucoup trop simple.

Je devais monter la difficulté d’un cran encore.

Sans vraiment prêter attention aux jeux, j’arpentai le casino à la recherche d’une cible potentielle, et je faillis la manquer de justesse. J’étais assez loin pour qu’il ne me remarque pas. Enfin, comment pourrait-il me voir alors qu’il était en train de récupérer la mise d’une charmante jeune femme ? Je l’observai discrètement en dépouiller une autre et se diriger vers le restaurant. Il était plutôt grand, brun, ni mince, ni gros, un physique moyen si on omettait ses yeux rouges comme sa chemise. J’étais trop loin pour le détailler un peu plus mais je n’allais pas tarder à le voir de plus près.

Je me dirigeai à mon tour vers le restaurant et, tandis qu’il s’arrêtait à la recherche de sa prochaine victime sans doute (c’est ce que j’aurais fait moi, en tout cas), je le dépassai, le frôlant presque, en bénissant cette particularité qu’avaient les talons hauts d’induire un balancement plus prononcé des hanches, donnant à ma démarche quelque chose de félin.

Je m’installai à une table libre et attendis.

L’aborder aurait été contre-productif. Il fallait qu’il pense que c’était lui qui m’avait choisie, et non l’inverse.

L’homme passa devant moi sans même m’adresser un regard.

Je le suivis du regard, cachant ma déception. J’aurais dû capter son attention ! Qu’est ce qui n’allait plus chez moi ? Qu’est ce qui avait changé ?

Je faisais toujours attention à ma silhouette, à mes vêtements, à ma façon de me comporter… Peut-être que les critères de beauté changeaient doucement, que les pinups comme moi s’effaçaient au profit d’un autre type de femme. Qui sait, le mignon tout petit et tout menu sans trop de formes avait un certain succès. Peut-être que c’était en train de prendre de l’ampleur sans qu’on s’en rende compte.

Peut-être que je n’avais plus que parce qu’on ne pensait pas vivre très longtemps en temps de guerre. On consommait sans penser au lendemain. J’avais sans doute l’air d’un bonbon alléchant mais pas d’une femme avec qui on fonde un foyer. Enfin, il y en avait un tas qui y avaient cru, alors c’était une théorie bancale quand même.

Mais si c’était le cas, il faudrait que je revoie toutes mes tactiques, toutes …

«Me permettez-vous de m'asseoir à votre table...? Une douce et belle jeune femme comme vous ne devrait pas rester ainsi seule... Peut-être accepteriez-vous un verre de champagne en ma compagnie...?»

Je levai les yeux, un peu surprise, vers l’homme qui venait de m’aborder. J’avais tellement été perturbée par le fait que ce dernier semblait ne pas m’avoir remarquée que je n’avais pas vu qu’il avait, en réalité, été chercher une bouteille pour s’inviter à ma table.

Je le détaillai de haut en bas et affichai un sourire enjôleur.

Cet homme était riche.

Et le raisonnement qui m’avait permis de le déduire était très simple.

La bouteille qu’il tenait était très couteuse, certes, mais il ne fallait pas oublier qu’il venait de dépouiller deux femmes juste avant. Cela dit, dépenser autant pour aborder une femme était soit signe qu’il souhaitait impressionner, soit qu’il avait l’habitude de ne prendre que le plus cher, soit les deux. Je basais plutôt ma première conclusion sur ses vêtements. Des vêtements de luxe, chaussures comprises. Ce dernier détail était plutôt important. On pouvait se voir offrir des vêtements très chers alors qu’on n’avait pas un rond, mais des chaussures… Avez-vous déjà songé à en offrir une paire à un homme ? Non, évidemment. C’était signe qu’il s’était tout acheté comme un grand, avec son propre argent, et c’était donc un très bon indice concernant le nombre de zéros sur son compte en banque. Et celui-là en avait un paquet.

Qui sait, peut-être qu’il allégeait aussi les porte-monnaie de ces dames en dehors des casinos. Dans ce cas-là, j’avais peut être trouvé mon équivalent masculin et un challenge terriblement… stimulant.

- Quelle charmante attention. Asseyez-vous, je vous en prie.

Je le laissai s’installer et le taquinai un peu.

- Vous arpentez souvent ce restaurant à la recherche de femmes seules, une bouteille à la main, ou suis-je incroyablement chanceuse que vous vous trouviez là par hasard ?

La réponse était évidente puisque je l'avais intentionnellement attiré, mais c’était un bon moyen de tester petit à petit ses limites et l’ampleur de sa motivation.

Spoiler:

Je pris la coupe de champagne qu’il me tendait et attendit qu’il se serve. C’était plutôt mal vu de se jeter sur son verre à peine servi et je ne souhaitais pas non plus le vider trop vite. Ivresse et séduction de haut vol ne faisaient pas bon ménage.

«Et bien... Disons que vous êtes chanceuse. Ces derniers temps, j'ai peu de temps pour moi. Il faut dire que le patron du Blue me réclame très souvent pour animer les soirées de ses clients. Par conséquent, aujourd'hui est une soirée exceptionnelle.»

J’avais été une fois au Blue. Une soirée étrange, un peu floue, bien qu’agréable. Je me suis souvent demandé si je ne l’avais pas rêvée. C’était un bâtiment très chic et animer une soirée là-bas incluait sans doute de la musique, une autre activité aurait plus relevé du camping des Oiseaux Rieurs (je suis sûre qu’en cherchant un peu, on en trouverait sûrement un avec ce nom !).

Ma cible était donc un musicien ou un chanteur. Voire les deux. Très bon choix. Les femmes étaient plus attirées par le côté sensible des artistes. C’était un stratagème plutôt connu, mais ça restait une valeur sûre.


«Je me présente, je m'appelle Hideo. Mais assez parlé de moi... Je me demandais, sans vouloir vous importuner, si l’irrésistible créature que vous êtes m'accorderez la joie de connaître votre nom...?»

Hum. Surcharge de flatterie.

Je ne m’en plaignais pas, c’était toujours bon pour l’ego. Mais je préférais quand ce genre de mots sortait de la bouche d’un homme totalement sous mon emprise.

Mon sourire s’étira tout de même. Ce n’était pas la peine de lui cacher que cela me plaisait, au contraire.

- Je m’appelle Symphonie.

Je croisai les jambes et me penchai légèrement en avant, juste assez pour poser mon avant-bras sur le bord de la table. Ainsi, il pressait légèrement ma poitrine, la remontant discrètement.

Je cherchai rapidement des indices sur sa race et éliminai déjà les thériantropes, éryans et démons. Non pas que je sois raciste, mais un cyborg, par exemple, ne réagira pas de la même façon qu’un vampire à certains détails.

Il fallait récolter plus d’informations à son sujet, et à l’occasion, le flatter, lui faire croire que j'étais totalement sous son charme, alors qu’en réalité, je pouvais remonter doucement mes filets pour savourer ma pêche.

- Le Blue est un établissement très réputé, vous devez jouer merveilleusement bien. Quel instrument utilisez-vous ?

J’avais pris un air intéressé et distant à la fois. Je voulais ces informations, évidemment, mais je ne devais pas me livrer tout de suite non plus. Aucun prédateur ne trouvait de plaisir à jouer une partie déjà gagnée d’avance.

Un léger sourire jouait sur mes lèvres tandis que je l'observais tout en faisant tourner ma coupe de champagne entre mes doigts, n'en buvant une gorgée que de temps en temps, lorsque l'envie s'en faisait sentir. Un sourire s'afficha sur ses propres lèvres alors que je venais de lui demander son nom en employant les mots «irrésistible créature» pour la qualifier. Jusque là, tout se passait bien. Jamais une femme ne m'avait pas rendu mon sourire à ces mots. Donc tout fonctionnait parfaitement. J'avais l'avantage, j'étais plus rusé qu'elle et j'étais presque certain que je finirais par avoir le dessus dans cette chasse.

Du moins c'était ce que je croyais, jusqu'à ce que je la vis se pencher légèrement en avant pour venir poser son bras sur la table. Mon regard passa brièvement sur sa poitrine qu'elle mettait ainsi en avant juste avant de ne plonger dans son propre regard qui, par ailleurs, était d'un bleu à coupé le souffle.

Mes pensées s'alignèrent et se mirent assez en ordre pour comprendre que j'avais à faire à quelqu'un d'aussi futé que moi. Si ce n'est peut-être plus... Qui sait, après tout, quels stratagèmes serait-elle capable de mettre en place? Il fallait croire qu'en plus d'être très séduisante, elle était intelligente. Réfléchissant à toute allure, je me disais qu'au final, il était plus simple pour une femme de montrer ses charmes, le sexe féminin disposant d'une poitrine et de jolies fesses bien rondes qu'elle pouvaient facilement mettre en avant. Hum... Même si ça ne se voyait pas de l'extérieur, intérieurement, je cogitais à toute vitesse.

Alors qu'elle reprenait la parole, je buvais une nouvelle gorgée de champagne. Pour lui répondre, je reposais sagement mon verre sur la table.

«Et bien... Cela dépend de qui j'ai en face de moi...» lui dis-je alors que mes yeux fixaient les siens.

«Je sais aussi bien jouer de la guitare que du piano, en passant par la batterie ou le saxophone... Et...»

Je m'arrêtais quelques instants pour reprendre.

«Vous connaissez la balalaïka? C'est un instrument russe.»

Je me redressais et me penchais légèrement vers elle.

«Mise à part, je suis aussi capable de vous jouer un air de flûte... Mais c'est beaucoup plus facile.»

Il était vrai que moi, Hideo, je savais jouer de base, bien plus d'instruments que n'importe qui. J'avais commencé très tôt l'apprentissage de la musique, et, dans mon autre vie, j'en avais également fait mon métier.

«Et bien... Cela dépend de qui j'ai en face de moi...»

Je bu une gorgée de champagne, l’appréciant à sa juste valeur. J’avais appris à boire modérément lors des dîners « romantiques » ces vingt dernières années. Oh bien sûr, j’avais très vite commencé par tester mes limites, souvent à mes dépends, mais maintenant tout était sous contrôle.

En parlant de contrôle.

La phrase de mon interlocuteur était plutôt révélatrice. Il révélait clairement avoir la capacité d’analyser quel genre de personne se trouvait en face de lui pour s’y adapter. Capacité assez rare certes, mais je savais déjà, en l’observant plus tôt, qu’il devait posséder un don de ce genre.

Il énonça plusieurs instruments et je ne pus m’empêcher d’être plutôt impressionnée par la quantité d’instruments dont il était capable de jouer. Cela me donnerait presque envie de lui demander de m’en faire une démonstration plus tard.

Je l’imaginai un instant nu, une guitare en mains. Hum, oui, ce devait être agréable à regarder et à écouter.

Il se pencha et je me rapprochai instinctivement.

«Mise à part, je suis aussi capable de vous jouer un air de flûte... Mais c'est beaucoup plus facile.»

C’est moi où il venait de faire un sous-entendu concernant l’éventuelle suite de notre soirée ?

L’inconvénient, quand on se retrouvait en face d’une personne souhaitant me séduire, c’est que tout pouvait prêter à sous-entendus. Ne pas les comprendre pouvait signifier que nous n’étions pas sur la même longueur d’ondes et cela pouvait quelque peu refroidir Monsieur.

Enfin. Un air de flûte. Non, ce devait être moi qui cherchais la petite bête. Je ne voyais pas vraiment ce qu’il aurait voulu dire par là. Il y avait bien cette vieille expression mais… Non, j’étais juste un peu à cran.

- Eh bien, commentais-je, admirative. Vous me semblez vraiment très doué.

Je plongeai mon regard dans le sien

Etrangement, ce n’était pas désagréable ce rouge.

- Il y a-t-il d’autres incroyables qualités dont vous voudriez me faire part ?

J’étais sincèrement curieuse. Cet homme était en quelque sorte mon équivalent masculin. A quelques détails près. Quels pouvaient être ses loisirs ? Ses motivations ?

Et puis, le cerner pouvait me permettre d’étendre une emprise plus sûre.

Du coin de l’œil, je vis approcher un serveur au loin.

Hum, c’est vrai que nous étions dans la partie « restaurant » de ce casino.

Je n’avais pas spécialement faim, mais parvenir à me faire payer quelque chose, ne serais-ce qu’un repas, était un pas vers le grand plumage final. J’avais déjà marqué un point quand il avait acheté cette bouteille hors de prix que nous dégustions. Voyons s’il allait suivre son orgueil et continuer à étaler sa richesse pour m’impressionner.

Je bu une gorgée de champagne en l’écoutant. Il n’avait besoin que d’un tout petit coup de pouce pour longuement parler de lui visiblement. C’était parfait.


«Peut-être pourrais-je vous apprendre à jouer de l'un d'entre eux un jour, si vous le voulez...»

- Pourquoi pas, j’ai toujours voulu apprendre à jouer d’un instrument.

Ce qui était vrai, j’avoue. J’aimais apprendre et cumuler les compétences, d’autant plus que la musique était quelque chose que je n’avais découvert qu’en sortant de l’océan, il y a une vingtaine d’années.

J’avais été fascinée et m’étais même demandée comment mes consœurs pouvaient s’en passer sous l’eau. La réponse était évidente, et je n’avais d’ailleurs jamais entendu parler de sirène musicienne.

«Mais suis-je bête... Nous sommes au restaurant, peut-être voudriez-vous un petit quelque chose à manger?»

Avant même que je réponde quoi que ce soit, il appela le serveur en claquant des doigts.

«Garçon!»

Et se tourna vers moi avec un sourire à faire fondre le petit glaçon dans le verre de la table d’à côté.

«Allez-y, prenez ce qu'il vous plaira, je me chargerais de l'addition.»

Comme c’est… Galant/gentil/prévisible/machiste, rayez la ou les mentions inutiles selon votre humeur.

Je feignis la surprise et souris.

- Comme c’est gentil.

Pour la peine je n’allais pas me priver et prendre ce qu’ils proposaient de plus cher.
Une fois ma commande donnée au serveur, je bu une nouvelle gorgée de champagne et penchai légèrement la tête sur le côté.

- Vous semblez ne vous priver de rien, dois-je en déduire que vous avez été très chanceux aux jeux ?

J’esquissai une moue contrariée et battis innocemment des cils en ajoutant.

- Pour ma part ça n’a pas du tout été le cas.

Autant jouer les fauchées tout de suite et attirer l’attention de son côté « chevalier servant ». Il valait mieux mettre tous les atouts de mon côté tant qu’il avait l’impression de dominer la situation, parce qu’une fois qu’il sera totalement à ma merci, je le mènerais à la baguette et le dominerais complètement.

Il commença à me dire que j’avais eu de la chance puisqu’il était là, réponse tout à fait prévisible, mais je devais bien l’avouer, j’avais réellement eu de la chance.

Qui sait combien de temps j’aurais erré dans ce casino à la recherche d’un challenge.

« Mais si vous le souhaitez...»

Il se figea et écarquilla les yeux en voyant sa montre.

Quoi donc ? Cendrillon était en retard ? Déjà ? Je commençais à peine à m’échauffer et je n’avais pas spécialement envie de trouver une autre proie afin d’éviter de rentrer à pas d’heure et de déranger Lev. Il était vraiment adorable de m’héberger, mais je ne voulais pas abuser.

Visiblement intriguée, je l’observai me regarder, prendre le temps de réfléchir et reprendre sa conversation.

«Hum.. De quoi parlions-nous, déjà? Ah oui, et bien, oui, disons que j'ai plutôt été chanceux aujourd'hui, mais il faut dire que je suis un bon joueur. J'ai souvent joué au poker.»

Oh, sans blagues ?

C’était de l’ironie.

Cela dit, je devrais m’essayer au poker moi aussi. J’étais assez bonne actrice et j’aimais gagner. J’avais tout ce qu’il fallait donc.


«Mais... ce n'est pas là ma seule richesse. J'ai hérité, il y a quelques années maintenant, d'une fortune colossale.»

Je me figeai.

Comment ? !

Prenant un air détaché, je repérai le serveur avec nos plats et profitais du dérangement qu’il créait pour me remettre de ma surprise.

Avoir l'air trop intéressée par cette révélation pouvait mettre la puce à l'oreille.

- Oh, ça explique tout.

Donc, si je résumais bien les choses, j’avais en face de moi un homme très séduisant et riche qui partageait le même loisir nocturne que moi.

Et qui jouait de la musique. (j’en déduisais d’ailleurs que son travail n’était donc que pour le plaisir de jouer d’un instrument de musique)

….

….

Quel que soit ton empêchement, ne pense pas que je vais te lâcher comme ça Cendrillon.

Je saisis ma fourchette et avalai une bouchée de ce que j’avais commandé.

- On peut vraiment dire que vous êtes très chanceux. Enfin, j’espère que ce n’était pas un être trop proche qui est mort.

Personnellement je possédais une certaine connaissance en héritage. En mariage aussi. Et en mort « accidentelle ».

Il semblait réfléchir en m’observant et je brûlais d’envie de savoir ce qu’il se passait dans sa tête.

«Vous savez, tout n'est pas qu'une question de chance... Il suffit de savoir jouer la comédie face aux bonnes personnes.»

Je fronçai les sourcils. Il n’hésitait plus à indiquer clairement ce qu’il était. Pourquoi ?

J’étais plutôt déconcertée, mais eh… il n’y aurait pas de challenge sinon !

«Cependant... Je dois bien avouer que j'ai un minimum de chance. La preuve, j'ai fait votre connaissance ce soir...»

Je souris, même si au fond, j’étais perturbée par ce très léger changement de comportement.

«Enfin, pour vous répondre, je dois dire que cette personne était un peu comme un «père» pour moi. Mais, n'en parlons plus. Aujourd'hui, il n'est plus, alors laissons le reposer en paix.»

Oh, j'avais fait pareil pour mes trois précédents maris. Nous avions vraiment beaucoup de points communs. C'en était presque dérangeant.

Il était pressé, nerveux même. Pourquoi ? Qu’est-ce qui pouvait bien perturber Cendrillon ? Son carrosse allait-il se transformer en citrouille ? Ses vêtements en lambeaux ? Enfin, tant qu’il gravait son numéro de téléphone dans sa pantoufle de verre, ça m’allait.

Ou presque.

Je n’avais vraiment pas envie de le laisser filer comme ça.

«Et bien, quelle soirée agréable... Malheureusement, je vais devoir l'écourter. Je viens de me souvenir que l'on m'avait invité à une soirée qui commence dans quelques minutes... J'espère que vous ne m'en voudrez pas...»

Je pris un air surpris, puis fronçai les sourcils avant de soupirer, résignée.

- Eh bien, tant que vous me promettez de continuer cette soirée une prochaine fois, ça m’ira.

En réalité j’étais déçue. Vraiment déçue. A un tel point que je ne pensais pas trouver d’autre cavalier pour la soirée.

Je pouvais toujours rentrer chez moi et dormir dans mes draps froids et inoccupés depuis des semaines…

Tu me le paieras Cendrillon. Très très cher. Et n’espère même pas prendre le dessus une seule fois le soir où je coucherais avec toi.

«J'en suis navré ma chère, je suis véritablement désolé. J'espère que vous pourrez me pardonner un jour cette impolitesse.»

Un léger sourire vint relever le coin de mes lèvres.

Il était évident que je ne lui pardonnerais pas aussi facilement. Je serais bien plus exigeante la prochaine fois, si prochaine fois il y avait et il ne pourra pas se défiler aussi facilement !

… Enfin, il avait sans doute eu ce qu’il souhaitait depuis le début : attiser le désir. Ici, c’était par la frustration due à cette soirée avortée.

Je l’observai se lever et sortir une carte qu’il me tendit.

«Bien entendu, n'hésitez pas à m'appeler, à n'importe quelle heure, lorsque l'envie vous prendra...»

Mon sourire s’élargit, plein de sous-entendus, répondant à son clin d’œil.

- Oh, je n’y manquerais pas. Répondis-je tandis qu’il déposait un baiser plein de promesses sur le dos de ma main.


«J'espère bientôt vous revoir, ma chère... Passez une agréable soirée.»

- Vous de même.

Laissant mon regard le suivre jusqu’au bar où il paya l’addition (ouf !), je reportai mon attention devant moi et soupirai. Pour une fois que j’avais un véritable challenge, il me filait entre les doigts. Cela me coupait le peu d’appétit que j’avais.

Je me levai et me dirigeai vers la sortie, lentement, cherchant sans vraiment y croire, une proie aussi intéressante que celle qui venait de m’échapper.

Une fois devant la porte, je soupirai.

Bon, je rentrerais chez moi ce soir.