Un petit café tranquille ? [PV Alexander]

Il faisait plutôt doux pour cette saison. Beaucoup de monde s’entassait sur la terrasse du café devant lequel je me trouvais. Je cherchais inconsciemment du regard une bonne poire qui paierait ma consommation avant de me rappeler une chose : j’étais en couple.

En couple = pas de drague pour tout avoir gratuit.

Dommage. Je n’allais pas dépouiller Lev pour un ridicule petit café, mais c’était la première fois que je dépensais autant d’argent.

Aujourd’hui était donc un jour à marquer d’une pierre blanche.

Mais c’était pour la bonne cause !

La société Edorian Security était officiellement née cet après-midi.

Armée de ma carte bancaire, d’une jupe de tailleur bleue marine, d’un léger chemisier stylisé et d’une paire d’escarpins (et de bas ! très important les bas ! et les porte-jarretelles), j’avais parcouru toute la ville pour louer et aménager les locaux de l’entreprise, m’occuper de la paperasse administrative et du marketing. Ne m’étant arrêtée que pour arranger mon rouge à lèvres fuchsia et mon chignon (en rajoutant une paire de lunettes ça faisait très « secrétaire sexy »… je me demande si Lev aimerait ce soir…), je m’autorisais enfin une véritable pause.

Qui aurait cru qu’une idée née un soir de baignade en face d’un colosse plutôt sexy pouvait aller aussi loin ?

J’avais déjà embauché quelques hommes et repéré de potentiels clients. L’entreprise promettait d’être une véritable réussite, et rien que cette idée me donnait un moral d’enfer.

M’installant à une table, je vis le serveur arriver avec un gigantesque sourire, ignorant des personnes qui attendaient sans doute depuis bien plus longtemps que moi.

- Bonjour, je peux prendre votre commande ?

Vu comment il reluquait mon décolleté, ce n’était pas que ma commande qu’il voulait prendre. Mais j’étais fidèle.

Et il n’était pas très beau. Il faut dire ce qui est, hein.

Une voix me surpris, juste à côté. Un homme venait de s’asseoir sur la chaise libre à ma droite.

- Faites-vous plaisir, mademoiselle, je vous l’offre.

Il était un peu trop proche à mon goût, même si je me penchais de l’autre côté pour m’en éloigner.

Le serveur faisait la gueule en voyant l’inconnu essayer de lui piquer sa proie, mais je rembarrai ce dernier poliment.

- Non merci, ça ira.

- Vous avez raison, charmante demoiselle, ce mec a l’air louche.

Je me retournai, surprise.

Et lui, là, s’il n’avait pas l’air louche j’étais la reine de l’univers !

- Moi je vous l’offre, ajouta-t-il avec un grand sourire.

Bon sang, c’était incroyable !

En temps normal j’ai déjà beaucoup de succès. Je le sais, j’en joue même. Mais depuis que je suis en couple… Même plus besoin de repérer ma proie ! C’est comme s’ils avaient une alarme « en couple » qui s’allumait et me donnait sans doute un air de fruit défendu.

… Est-ce que Lev avait aussi ce même problème ?

Après tout, il était canon, et trop adorable pour rejeter une femme… Et sa race lui donnait un côté sauvage…

… Oh bon sang !

Non. Calme-toi Symphonie. Lev est sans doute plus capable de résister à la tentation que toi. Il faut lui faire confiance. Con-fi-an-ce !

Alors maintenant tu vire ces gros lourds et tu bois ton café.

- Je suis parfaitement capable de me payer un café. Lâchais-je, froidement, avant de relever les yeux vers le serveur. Avec un nuage de lait.

Message compris. Le serveur disparut.

Mais pas les deux autres.

Voilà qu’ils demandaient même mon numéro de téléphone !

Je soupirai. Si Lev était là, il les auraient sans doute fait voler à l’autre bout de la ville. Mais Lev était occupé aujourd’hui.

Visiblement, leur opposer un refus ne fonctionnait pas. Sans doute quelques problèmes dans leur éducation. Ou dans leur cerveau. Un cerveau bien trop bas qui n’acceptait que les « Oh oui ! Ouiii ! » sans doute trop rares vu leurs têtes et leur façon de draguer.

Je tentai de repérer quelqu’un qui pourrait me porter secours sans essayer de me violer par la suite. C’était plutôt facile. J’avais l’habitude de repérer les personnes puissantes, ce qui éliminait déjà une bonne partie des hommes sur la terrasse. Ne restait plus qu’à éliminer ceux qui me reluquaient un peu trop avidement, sans aucune retenue, ceux qui bavaient et enfin ceux qui se tripotaient pour enfin trouver un sauveur potentiel.

Je captai son regard et lui envoyai un « au secours » silencieux en espérant qu’il comprenne.

Il ne fallut pas beaucoup de temps à l’homme que j’implorais silencieusement pour se lever.

Ah c’était tellement génial quand les informations arrivaient au cerveau aussi rapidement !

-Bonjour messieurs, vous serez t’il possible de laisser cette jeune femme boire son café tranquillement, elle n’a pas l’air de vouloir de votre compagnie.


Evidemment, l’autre ne fut pas d’accord, mais hé, je savais choisir mes sauveurs !

Comment croyez-vous que j’ai survécu à la guerre ? Moi, une simple sirène ! Et je n’ai pas fait que survivre ! J’ai observé les chefs de guerre, l’élaboration de leurs stratégies. J’ai beaucoup lu aussi. J’ai affuté mon esprit comme certains affutent leurs lames.


Enfin, je m’égare. Revenons à Lourdeau 1, Lourdeau 2 et euh… bon, je ne vais pas l’appeler le Piaf, il est en train de me tirer d’affaire… hum… disons…. Le sauveur à la cicatrice ! Ouais, ça faisait viril ça comme surnom. De toute façon tout homme portant une cicatrice faisait viril. Il fallait juste éviter qu’il avoue se l’être fait en coupant son steak de soja.


Bref, Lourdeau 1 venait de poser sa main sur l’épaule du sauveur à la cicatrice…

-Mec merci bien mais occupe-toi de ce qui te regarde, nous ne faisons que discuter avec elle alors retourne t’assoir avant que nous….


…Qui ne sembla pas trop apprécier.

- Aaaahhhhhhhhhh


L’homme venait de briser la main de Lourdeau 1. On pouvait dire qu’il prenait les choses très au sérieux et ne faisait pas dans la dentelle.

En fait, je n’avais rencontré que peu de personnes qui faisaient dans la grâce et la délicatesse. Je devrais commencer à m’habituer à ce que les gens tabassent à mort un type qui les aurait bousculés sans s’excuser.

Lourdeau 2 s’enfuit (comme un lâche) et le sauveur à la cicatrice n’y prêta aucune attention, trop remonté contre Lourdeau premier du nom.
 
-Alors déjà premièrement je n’autorise personne m’appeler « mec » ni encore moins me toucher sans mon autorisation, deuxièmement je ne crois pas que la jeune femme assis à cette table ne souhaite discuter avec vous alors pour la dernière fois allez-vous en avant que je ne vous brise le bras en entier.


Eh bien voilà qui était dit ! C’était clair, net, et ça avait refroidi tous ceux qui m’avaient sans doute déshabillée plus d’une fois dans leur tête.
Efficace donc.

Lourdeau 1 s’enfuit en pleurant (comme une fillette) et  l’homme s’adressa à moi :

-Voilà mademoiselle, normalement on ne devrait plus venir vous embêter vous pouvez boire votre café tranquillement et pardonnez-moi pour le dérangement, certain hommes se prennent vraiment pour des animaux.


Je retins un petit sourire en coin à ces mots.

C’était un thériantrope qui disait ça. Un homme à moitié animal….

C’est qu’il avait de l’humour en plus de sauver les demoiselles en détresse !

Je m’attendais à ce qu’il entame la discussion, quelque chose, mais repartis s’asseoir à sa place, bien gentiment.

J’avoue, j’étais plutôt déstabilisée.

Bon, d’accord, j’avais repéré son désintéressement et c’est pour cela que je l’avais choisi, mais… à ce point ?!

Oui, je sais, je voulais la paix et tout, mais… oh et puis zut, je n’avais pas à expliquer mon comportement.

Je me levai et posai ma main sur le dossier de la chaise qui se trouvait en face de lui.

- Je peux ? Demandais-je en souriant légèrement.

Sans même vraiment attendre qu’il accepte, je m’assis et croisai les jambes.

- Merci d’avoir fait fuir ces types. Ils étaient vraiment pénibles. Pour la peine, puis-je payer votre consommation ?

C’était la moindre des choses, non ? Et puis je me sentais généreuse aujourd’hui.

De toute façon j’étais riche et, même si mon compte en banque avait beaucoup souffert des récents achats que j’avais effectué, je pouvais très facilement plumer un ou deux pigeons chanceux au casino en cas de besoin.
 
Du coin de l’œil, je repérai le serveur qui me chercha un instant du regard avant de venir déposer mon café devant moi.
 

Si je devais décrire le sauveur à la cicatrice, je dirais qu’il était plutôt… farouche. Comme c’est choupi.

J’avalai une gorgée de café alors qu’il répondait.

-De rien, je n’ai fait que repousser des lourdeaux qui étaient en train d’importuner une demoiselle en détresse, n’importe qui l’aurait fait à ma place


N’importe qui ? J’en doute. Voyez, il existe un syndrome, le syndrome du témoin. Plus il y a de monde et moins on intervient en faveur des victimes. On rejette la responsabilité sur l’autre qui rejette la responsabilité sur l’autre etc… Et finalement, la personne qui se fait agresser ne reçoit aucune aide. A moins qu’elle ne le demande à quelqu’un en particulier. La personne se sent personnellement concernée et porte secours à la pauvre victime.

… Mon sauveur serait-il intervenu si je ne lui avait pas lancé un appel au secours silencieux ?

- et merci pour votre proposition mais je me dois de refuser, bien que je sois encore à la recherche d’un emploi pour compléter celui de garde forestier j’ai encore de quoi payer mes consommations, mais merci quand même.


Oh oh !! Voilà qui était intéressant !

Je n’eus pas besoin de masquer ma surprise. Mon agréable surprise.

- Oh,  vraiment ? Vous cherchez un emploi ?

Je laissai un grand sourire s’étirer sur mes lèvres, retenant une moue dégoutée lorsqu’il commanda un thé au caramel. Beurk. Trop sucré.

- Quelle heureux hasard !

Croisant mes mains devant moi, je me penchai vers lui.

- Voyez, je viens de créer une entreprise louant des services de protection : gardes du corps, patrouilleurs etc… Et je cherche des personnes, hommes ou femmes, forts et aimant aider les gens. Voyez, ce que je viens de subir à l’instant n’est rien comparé à d’autres choses qui me sont arrivées. J’ai été chanceuse, la plupart du temps, mais je sais parfaitement que d’autres personnes ne le sont pas.

Je bu une gorgée de café, lui laissant le temps d’assimiler ce que je venais de lui expliquer.

- La population d’Edora n’est pas si sûre que nous le pensons et elle a besoin d’être protégée. J’ajoutai, décroisant les mains et me penchant un peu plus vers lui, sur le ton de la confidence. J’ai besoin de vous dans mon entreprise.

Me redressant, je scrutai son regard, cherchant à prédire sa réaction. Sûre de moi.

Portant ma tasse à mes lèvres, j’ajoutai :

- Bien sûr le salaire sera plus que conséquent, les frais de santé couverts à 100% et vous aurez le droit à des congés payés.

Je terminai mon café et reposai ma tasse marquée d’un léger liseré fuchsia. Un sourire enjôleur sur mes lèves de la même couleur, je demandai :

- Alors, qu’en pensez-vous ?

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